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Yanomami na Imprensa
Data: 28 - Agosto - 2003
Titulo: Vues de l' esprit Yanomami
Fonte:
Liberation (Paris)
A Paris, rencontre étonnante entre l'art contemporain et des Indiens d'Amazonie.
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Yanomami,
l'esprit de la forêt
à la fondation Cartier,
261, boulevard Raspail, 75014 Paris.
Tlj, sauf le lundi, 12 heures-20 heures, jusqu'au 12 octobre. www.fondation.cartier.fr
plumes
contre plumes. Au vernissage de l'exposition la plus surprenante de l'année,
trois Yanomami, des Indiens d'Amazonie nantis de plumes vert jaune et ocre,
découvrent à la façon d'entomologistes le contenu de leur
assiette, silencieux, dignes. Les plumes de la tribu de l'art contemporain,
qui caquette son sabir international, sont plus artificielles. Naviguant des
uns aux autres, l'anthropologue Bruce Albert, seul à maîtriser
la langue des Yanomami et qui vit partiellement avec eux depuis les années
70.
Incongrue,
la scène illustre l'incroyable rencontre entre deux visions du monde,
celle d'un peuple que Claude Lévi-Strauss a contribué à
sortir de la catégorie étriquée des «bons sauvages»,
qui subit les assauts des «gens de près», Blancs porteurs
d'épidémies, ou de projets destructeurs de leur environnement
(ruée vers l'or, déforestation, construction de routes), et celle
de la création contemporaine. «L'idée était de confronter
deux façons d'être dans la création d'images, explique Bruce
Albert, celle des chamans, qui font entrer l'esprit des ancêtres en eux
en faisant danser les images, et celle d'artistes contemporains, qui frappent
les esprits avec leurs constructions d'images.» Un pari plutôt risqué
où chacun a dû aller vers l'autre, les images mentales des chamans
yanomami venant inspirer les projets d'artistes immergés dans le mode
de vie et l'environnement si particulier de Watoriki (la montagne du vent),
un village d'Amazonie de 127 habitants au nord du Brésil.
Qui
aura le plus impressionné l'autre ? Davi Kopenawa, chaman, représentant
politique de sa communauté (il a reçu le prix Global 500 des Nations
unies en 1988 et le Right Livelihood Award en 1989, le Nobel alternatif, pour
sa contribution à «l'éveil de la conscience publique à
l'importance du savoir des peuples traditionnels pour le futur de l'humanité»),
a fait le voyage jusqu'à Paris pour découvrir le résultat
de l'immersion de photographes, de vidéastes, d'artistes sonores en territoire
indien, une dizaine de jours chacun, de novem bre 2002 à janvier 2003.
Avec son fils, lui aussi chaman, et un jeune Yanomami, tous deux découvrant
le monde des Blancs, ils ont appris que «les gens de loin pouvaient aussi
rêver».
Régénération.
Les globes de Tony Oursler, Mirror Maze (Dead Eyes Live), énormes sphères
posées à même le sol diffusant un montage du bestiaire naïf
dessiné par les enfants yanomami et d'yeux quasi statiques, n'étaient
pas sans évoquer leurs propres séances chamaniques. Chez Oursler
le New-Yorkais, qui titille la frontière entre réel et imaginaire,
corps-matière et esprit-poussière, l'incursion relève de
la régénération ou, pour reprendre les mots croisés
d'Hervé Chandès, directeur de la fondation Cartier, et de Bruce
Albert en introduction au catalogue, d'une tentative réussie de «dépayser
la pensée et déprendre la vision».
Raymond
Depardon résume l'expérience : «Ils ont offert leur image
à quelqu'un qui auparavant ne connaissait pas même leur existence.
J'ai tenu mon rôle de passeur.» Le cinéaste et grand reporter
s'est retrouvé désigné par les Yanomami comme la «personne
qui faisait référence», dit Bruce Albert, celle «à
qui les discours étaient adressés». Depardon a réalisé
un film de pure poésie, sans commentaire ni fioritures, collant physiquement
aux Indiens, comme s'il avait voulu s'effacer au maximum. Son documentaire en
deux parties, où la «mi-temps» met en scène une partie
de foot au centre du village (une seule et immense maison collective de 80 mètres
de diamètre). Première mi-temps, un groupe de chasseurs, arcs
bandés, corps nus, tendus vers le faîte des arbres, communiquent
avec les yeux. «Ne pensez pas que la forêt soit morte, posée
là sans raison, explique Davi Kopenawa dans le très beau catalogue
(1). Si elle était inerte, nous ne bougerions pas non plus. C'est elle
qui nous anime.» Le ballet silencieux des chasseurs dans l'immensité
luxuriante qui les environne laisse entrapercevoir la cosmogonie yanomami. Sans
aucune concession new age...
Transe.
Deuxième mi-temps, la caméra est placée sous la toiture
de feuilles de palmier. Les onze chamans se préparent à leur séance.
Les gestes sont lents, les sons étouffés, jusqu'à la transe
et ses caquètements psalmodiés. Les anciens soufflent dans le
nez des plus jeunes la poudre yãkoana, un puissant hallucinogène
naturel que seul le pape de l'art vidéo, Gary Hill, s'est risqué
à prendre... La pièce qu'il présente à Paris, deux
écrans vidéo à l'image inversée, n'a pas la manière
subtile qui le caractérise habituellement. Il faut dire que seuls les
chamans supportent la poudre yãkoana, qui entraîne la syncope pour
le profane...
On
lui préfère deux projets questionnant l'imaginaire, occidental
ou indien. Stephen Vitiello recrée le paysage mental de la forêt
tropicale à l'aide de captations sonores : le visiteur ouvre grandes
ses oreilles à l'hea, l'appel annonciateur des oiseaux. L'Allemand Wolfgang
Staehle a durablement modifié le regard des Yanomami sur leur village
: deux écrans diffusent en accéléré les 24 heures
de prises de vues, plans fixes tournés l'un depuis la montagne de pierre,
immense bloc granitique qui surplombe le village, l'autre, en contrechamp, depuis
le village. La montagne, magique pour les Indiens, est le lieu d'habitation
des esprits. Une autre façon de «penser» le paysage, en renversant
leur point de vue sur Watoriki. A l'inverse, les Indiens ont filmé les
artistes pour construire leur propre récit de l'aventure.
Participe
aussi de l'échange la fondation Cartier, qui s'est engagée financièrement
à soutenir des projets d'éducation en territoire yanomami et une
cartographie du territoire (38 500 euros). «Il y aurait eu quelque chose
d'indécent, dit Bruce Albert, à ne faire que de l'art autour de
ces questions, leur village sans argent, les épidémies apportées
par les Blancs, le paludisme qui a décimé 13 % de leur communauté.».
(1)
Edité par la fondation Cartier et Actes Sud, 208 pp., 38 euros.
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Coordenação Editorial:
Bruce Albert (Assessor Antropológico CCPY) e Luis Fernando Pereira (Jornalista CCPY)
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